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Le blog de Didier Guillot

Bonjour et bienvenue ! Ce blog est mon espace d'expression et d'échange politique. Il me permet de rendre des comptes de mon mandat de conseiller de Paris du 18ème arrondissement délégué à l'enseignement supérieur, la recherche et la vie étudiante et Président de l'EIVP. Adhérent de La République En Marche et membre de son comité de pilotage parisien, je suis membre du groupe Démocrates et Progressistes au Conseil de Paris et dans le 18eme. Ce blog me permet également de commenter notre actualité politique nationale et parisienne.N'hésitez pas à réagir, à partager et à participer ! De gauche. Réformiste. Européen. Libéral. Ecologiste. Démocrate. Par ailleurs cycliste, pianiste, pongiste et amoureux de la montagne et des écrins.

Merci Papa

Merci Papa

 

Je tiens ici à rendre hommage à mon père dont la vie s’est arrêtée ce 3 juillet, à l’âge de 80 ans, après 35 jours à naviguer quelque part entre la vie et la mort juste après un double arrêt cardiaque au réveil d’une intervention chirurgicale banale.

 

Né en 1936, il avait connu la guerre enfant. Il l’avait vu de son berceau familial qu’était le Valromey, une belle vallée de l’Ain, pays de grottes, de forêts et de cascades au sud du massif du Jura. Il se souvenait des allemands brûlant les villages d’en face. Cela l’avait d’ailleurs marqué car il a longtemps été persuadé qu’un jour nous aussi nous connaitrions la guerre. A tel point qu’il avait une petite forêt du côté d’Hotonnes à laquelle il tenait car peut-être qu’un jour ses enfants et ses petits enfants auraient nécessité à s’y cacher en cas de guerre. De ces années difficiles il en avait aussi conservé une aversion pour le gaspillage et notamment alimentaire.

Son père est parti quand il avait 17 ans et l’on ne sait pas grand-chose de lui si ce n’est qu’il était employé au Crédit Lyonnais. Sa mère travaillait à la compagnie nationale du Rhône et, petits, il nous en était resté les plans des grands barrages du Rhône sur lesquels nous faisions des dessins.

Lycéen et étudiant boursier au lycée du parc à Lyon il fera des études de math et deviendra ingénieur. Sa spécialité sera la régulation thermique dont il deviendra un des grands spécialistes européens. Il a longtemps travaillé à la CEM à Lyon, puis ensuite chez Therm’X qui produit des radiateurs à catalyse au gaz à Rillieux-la-Pape. Après avoir connu une petite période de chômage, il a ensuite changé d’air pour rentrer dans une petite entreprise de l’Ain dont il deviendra assez vite le chef d’entreprise. Entreprise qui avait 3 sites, l’un en Saône et Loire (dans la circonscription d’un certain Arnaud Montebourg. Il ne comprenait d’ailleurs pas que son député lui écrive pour lui demander d’embaucher telle ou telle personne !), l’autre dans l’Ain, dans le Bresse (d’où il nous rapportait d’excellents poulets, chapons, lapins et œufs frais), et le troisième dans le Jura à Saint Amour. A la fin de sa carrière de boss il avait également une usine en Tunisie et près de 300 salariés. Ses usines faisaient de la sous-traitance pour plein de donneurs d’ordre très différents. La vraie spécialité c’était les bobines des moteurs électriques qui, parait-il, sont très complexes à réaliser. Mais il faisait aussi des fixations de ski pour Salomon, des appareils photos jetables pour Kodak, du mobilier de jardin, des pièces multiples pour moteurs en tout genre. Il était un patron stressé et parlait toujours de sa boite. Cela pouvait en être pénible car pour lui toute personne qui ne travaillait pas dans l’industrie ne pouvait comprendre l’industrie.  90% de ses salariés étaient des ouvriers et 80% de ses ouvriers étaient des ouvrières. Parce qu’aujourd’hui dans la France industrielle une grande part des ouvriers sont des ouvrières comme nous avons pu le découvrir à travers les derniers grands combats ouvriers (Moulinex, Lejaby…). Je suis d’ailleurs persuadé que la féminisation du monde ouvrier a contribué à le rendre moins visible car les syndicats ouvriers restent des univers très machistes. Il en parlait avec passion et immense respect. Pour lui un ouvrier ce n’était pas un simple exécutant mais un savoir-faire immense et il vivait le déclin de la France industrielle comme un drame. Chaque fois qu’une usine fermait, il considérait que le principal drame était précisément la perte d’un savoir-faire ouvrier et technique qui disparaissait à jamais. Ceux qui ne vivent le monde économique que comme un lieu de conflits d’intérêts binaires prendront cela comme du vulgaire paternalisme. Moi j’ai appris à prendre cela pour de l’amour du travail et du monde du travail. 

Il a d’ailleurs incité tous ses enfants, mes 3 sœurs et moi, à travailler très tôt pour des jobs à l’usine. Nous devions découvrir ce monde et en commençant par le bas. Moi je commencerais à 18 ans par une usine de salaisons avec des horaires très dures et un boulot pénible car enfermé dans un frigo. Après ce sera le centre de traitement informatique du Crédit Lyonnais, un univers moins industriel mais avec des horaires en 3X8. Ma sœur benjamine elle travaillera dans sa boite.

 

Il nous a transmis, aux 4 enfants, une triple culture :

Une culture que j’appelle précisément une culture ouvrière ou populaire, celle de la main-reine. Il aimait plus que tout jardiner et bricoler. Pour le bricolage tout y passait. A 10 ans mes sœurs et moi pouvions changer un moteur de Renault 4 ou 6 ! Les voitures épaves pouvaient trôner dans le jardin sur le côté pour servir de pièces détachées. Et quand on faisait la cuisine on pouvait ouvrir le four et tomber sur une pièce de moteur qu’il fallait réchauffer ! Mes copains d’école primaires adoraient d’ailleurs jouer dans les vieilles DS ou 4L. Mais il y avait aussi la plomberie avec ces fuites à colmater, avec inondations à la clef au sous-sol parfois. L’électricité. Le bois. C’est d’ailleurs étonnant car nous avons eu une éducation très égalitaire. Fille comme garçon, on a tout appris à faire de nos mains et de nos 10 doigts. La cuisine comme le bricolage, le repassage, le ménage comme le jardinage. Chez nous il n’y avait finalement que peu de tâches « sexuées ». Et quand mes copains de l’IEP débarquaient chez moi et qu’ils tombaient sur une de mes sœurs en bleu de travail en train de changer une plaquette de frein, ils étaient toujours scotchés. Son sous-sol était un immense rayon de Castorama à lui tout seul et tous les outils permettaient de tout faire. Le résultat n’était pas toujours du meilleur goût et la finition n’était pas forcément idéale et fignolée. Il parait que c’est le lot des ingénieurs. Son expression favorite c’était : « ce n’est peut-être pas très beau mais c’est pratique ! » Cela pouvait d’ailleurs terminer en catastrophe : Ainsi avait-il installé lui-même au début des années 80 des capteurs solaires sur le toit pour chauffer l’eau. L’étanchéité du toit en a pris un coup et ma chambre située juste dessous a eu droit à quelques seaux d’eaux de secours ! Quant à l’eau chaude elle était plus tiède que chaude. Du coup il en a déduit que l’énergie solaire qu’il avait tenté avant tout le monde n’était pas rentable et c’est dommage car je suis convaincu que la maison de Chaillol s’y prêtait elle parfaitement vu l’ensoleillement record de ce département.

Avec lui on manipulait tout, outils comme produits dangereux et que de risques incroyables ont été pris ! Dans l’apprentissage, il est une transmission dont il aurait d’ailleurs pu se passer. Il m’a appris très jeune à faire des feux d’artifices à base de désherbant. Sans doute inspiré par la proximité de la principale usine de feux d’artifices française, Pyragric située à 200 m de la maison et dont les essais nous ont régalé pendant longtemps. La recette a effectivement agrémenté de belles soirées familiales dans la maison de campagne de l’Ain ou à Rillieux mais elle a aussi failli terminé en drame quand c’est notre voiture où nous étions 6 qui a explosé sur une route mayennaise. J’ai d’ailleurs fini par faire le lien quand je découvris bien plus tard lors des attentats de 1995, que c’était la même recette que pour les fameuses bombes des RER ! Le fameux désherbant ayant été retiré de la vente depuis…

Dans la maison, en tout cas pendant nos jeunes années, tout était fait maison et le bricolage une aventure partagée avec les enfants, les cousins et les amis de passage : isolation, parquet, carrelage, plomberie, électricité, étagères, lambris. Les scies circulaires comme les fraiseuses ou les ponceuses n’avaient pas de secret pour nous. Et par miracle aucun doigt n’y est passé. Réparer les voitures commençait d’ailleurs par aller chercher les pièces dans les casses sur les vieilles voitures. Il était le roi de l’économie circulaire car pour lui tout se construisait manuellement et tout se réparait. Même les aspirateurs qui avaient 30 ans d’âge et faisaient 90 décibels car pour lui ce n’était qu’une question de joint !

Je dois dire que n’ayant pas eu la chance de vivre en maison je n’ai pu reproduire ce schéma et transmettre tout ce savoir-faire à mes enfants mais j’aurais au moins su utiliser le moindre m2 disponible pour continuer à jardiner et bricoler un peu avec mon petit coin à outils…

Le jardinage était aussi pour lui une source de bonheur même si une partie de ce que cela impliquait était pénible (en particulier les corvées de désherbage sous le soleil de plomb…). Les tomates étaient délicieuses. Les haricots pouvaient eux avoir beaucoup trop de fils à mon gout. Sa grande réussite restera son arbre à Kiwis qui donne bon an mal an entre 50 et 150 kg de Kiwis excellents.

Dans cette culture là il y avait aussi une place pour les champignons. Quand j’étais enfant il m’emmenait chaque année voire l’exposition mycologique du Lycée Ampère à Lyon pour apprendre avec des vrais champignons. Nous avions également plein de bouquins appris par cœur pour ensuite aller à la cueillette soit dans les prés autour de Guéreins, soit dans les forêts du Beaujolais ou encore dans le Bois des Echets à deux pas de Rillieux. Et quand nous ne savions pas, cela se terminait à la pharmacie pour lever tout doute. Il y a bien eu une ou deux intoxications légères si je me souviens bien… Mais quel régal en général !

Il adorait aussi cuisiner et il le faisait comme le reste avec beaucoup de créativité et de touche personnelle, loin des recettes toutes faites. De son voyage en Inde il est revenu avec l’idée de cuisiner indien et là encore il faisait tout, des sauces au Nan toujours très spicy.

Dans cette culture que j’appelle moi populaire, il avait d’ailleurs fait le choix de s’installer dans une banlieue justement populaire. Dans un pavillon certes mais dans un environnement largement ouvert. Les 4 enfants sont tous passés par le collège et le lycée public et j’ai d’ailleurs pu découvrir encore ce week-end que le collège des semailles (devenu Maria Cazarès) par lequel nous sommes passés reste encore aujourd’hui le dernier du classement de toute l’académie du Rhône. Nous habitions pourtant juste à côté du collège et lycée privé et bien nous avons fait nos kilomètres de marche à pied ou vélo pour aller au collège et au lycée public de Rillieux-la-Pape parce que pour mon père et mes parents, la mixité sociale était une valeur intrinsèque. J’ai d’ailleurs connu une certaine violence dans ces années collèges dont je sortirai en ayant fait le con pour me protéger et sans le brevet des collèges.

Quand il venait nous rendre visite à Paris, il prenait souvent des chambres d’hôtel en banlieue et notamment à Saint Denis. Il n’aimait pas les centre villes et la banlieue lui était vraiment familière.

2° Une culture classique. S’il y a une chose qui a marqué toute la famille c’est la musique. Tout le monde en écoutait et en faisait. Deux de mes sœurs en ont fait d’ailleurs leur difficile métier. Quand chacun répétait pendant des heures dans sa chambre, cela donnait une certaine cacophonie et les gammes au violon pouvaient être un peu pénibles à subir. Moi c’était le piano comme mes parents, puis synthétiseur, et mes sœurs le violon, violoncelle, guitare, saxophone. Chaque moment de retrouvailles familiales a son moment de pratique musicale partagée. Il y avait aussi l’association qu’il avait dirigé dans les années 80 et qui organisait des camps de musique dans les monts du lyonnais. Les enfants étaient alors soit moniteur ce qui fut mon cas, soit prof de violon... Mais au-delà de la musique qui était le cœur même de l’échange familial il y avait aussi le goût pour découvrir les musées, les expositions, les lieux patrimoniaux. Et comme nous avons eu la chance de beaucoup nous balader dans toute la France au gré des vacances, les villages, les églises, les centre villes, les lieux touristiques nous étaient offerts souvent à base du guide vert Michelin. Un gout pour la curiosité. Nous avons eu la chance de découvrir quelques pays européens aussi, Allemagne, Belgique, Suisse, Autriche, Italie. Mais lui aura eu la chance de beaucoup voyager à la retraite. Même malade et en dialyse il a réussi à continuer et à découvrir le monde jusqu’au bout. 15 jours après son accident cardiaque il aurait d’ailleurs normalement dû partir en Sicile. De ses voyages, le plus beau souvenir qu’il emportera avec lui sera sans doute ce joyau de l’humanité qu’est Palmyre en Syrie et qu’il aura eu la chance de voir avant que des sinistres connards ne viennent l’abîmer au nom d’une religion dont ils ne comprendront jamais rien.

3° Une culture de la confiance, de la tolérance et de la bienveillance. Apprendre l’alterité dans ma famille était à la fois simple et compliqué. Mon père se disait agnostique et de droite. Ma mère catholique très pratiquante et pendant longtemps de gauche. J’ai choisi de faire la synthèse assez vite avec agnostique de gauche mais il est vrai que du coup la transmission de valeurs était forcément complexe. Complexe comme les fois où je me cachais pour ne pas aller à la messe et me faisais engueuler par mon père qui n’y pourtant allait pas ! Va comprendre. Complexe car l’échelle des valeurs peut être bien plus compliquée que tant d’esprits binaires ne l’imaginent. Une fois que j’ai dit que mon père était de droite je n’ai pourtant pas dit grand-chose. Déjà il avait milité dans sa jeunesse dans les mouvements typiques de la 2ème gauche chrétienne des années 60 et notamment à Vie Nouvelle où mes parents ont d’ailleurs puisé leurs plus solides amis qui le sont restés. Pour lui sa rupture avec la gauche date du programme commun car l’alliance avec le PCF était un scandale. Il détestait le totalitarisme. Et le hasard de la vie a fait qu’il se trouvait à Berlin en 1961 au moment de la construction du mur. Il avait le caractère droitier de nombreux chefs d’entreprise qui trouvent insupportable les carcans administratifs, la bureaucratie et l’entrave à la liberté d’entreprendre ou qui considèrent que toutes les difficultés de la France viennent des 35h ! Il pouvait même avoir des réflexes d’une droite très conservatrice, voire royaliste quand il parlait de la révolution française. Il m’avait même emmené voir une chapelle dédiée aux victimes de la terreur aux Brotteaux à Lyon. Il n’y avait en revanche pas la moindre trace de racisme, de mépris de classe, de délire sécuritaire ou de rejet de l’autre chez lui. Au contraire. Tout était ouverture à l’autre. Au début des années 80 notre famille a accompagné une famille laotienne de boat people. Il avait également accompagné une jeune orpheline qui vivait dans un foyer dans les Monts d’Or et qui a participé à une part de notre vie familiale. Pas la moindre trace de culture du chef, de culte de l’ordre, de culture de l’armée ou de la police. Quand je suis devenu militant du PS, il m’a d’ailleurs fait une leçon sur le mode : « militant c’est la même origine que le mot militaire. Un militant c’est comme un militaire cela obéit connement à des ordres et quand un ordre est stupide et bien ce n’est pas d’abord un ordre, c’est d’abord stupide ». Ayant cette phrase à l’oreille, j’aurais au moins essayé d’être un militant assez libre même s’il m’en a couté bien des promotions politiques ! Il ne croyait pas en dieu mais était d’une totale bienveillance pour ceux qui y croyaient à commencer par sa femme qui fut d’ailleurs salariée de l’église catholique. Un soir de messe de noël dans l’église de Rillieux-la-Pape, Saint Pierre Chanel, celle où lui sera rendu notre dernier hommage, il accouru pour réparer la chaudière et rétablir le chauffage ! Il était de droite et pourtant admirateur de Robert Badinter car la peine de mort était pour lui une horreur (il faisait d’ailleurs le lien avec la terreur…) et mieux, il considérait la prison comme une institution moyen-âgeuse et une honte absolue. Il rêvait de faire visiteur de prison.  Au fond s’il fallait vraiment le définir ce serait un peu un anar humaniste de droite. Et à moitié écolo. En ingénieur fasciné par tous les progrès techniques, il était un défenseur acharné du nucléaire. Mais personne d’autre que lui ne maitrisait à ce point le concept d’économie circulaire en recyclant tout. Il adorait les discussions. S’il pouvait s’emporter et hausser le ton, voire déraper, il n’y avait nulle trace de mauvaise foi chez lui et surtout aucun argument d’autorité, sauf si on prononçait le mot industrie. Que de discussions avons-nous eu tous les 2 très fortes et parfois fatigantes notamment pour mes sœurs que nos engueulades « politiques » ou « économiques » n’amusaient pas toujours. On s’est beaucoup cherché mais toujours dans le respect.

Pour ce qui est de l’esprit d’ouverture il le poussait très loin. Chez lui toutes les portes de placards étaient toujours ouvertes ce que ne manquait pas de relever tout visiteur qui débarquait pour la première fois chez nous. Pendant des décennies il n’y a pas eu de clôture avec le champ voisin qui en faisait un terrain de jeu pour le foot, les cache-cache, ou les cerfs volants. Quand il partait de la maison il pouvait laisser la porte non fermée à clef car il pensait que laisser la porte ouverte était une façon de laisser croire à tout impétrant qu’il y a quelqu’un à l’intérieur. Une porte ouverte doit donc dissuader. Il faut y penser quand même. Cela a marché car toutes les maisons voisines ont eu droit à des cambriolages et pas la sienne ! Quand on partait en vacances, on ne fermait pas les volets. Le portail de l’entrée n’a jamais été clôt. Un jour notre voisin qui était un fan de motos et de voitures s’est fait piquer une Citroën CX : les voleurs ont défoncé le portail à coup d’explosifs pour arriver à leurs fins. S’ils étaient entrés dans le jardin de mes parents dont le portail était ouvert, ils auraient pu prendre la Peugeot 604 familiale puisque mon père avait oublié la clef sur le contact ! Après viendra la 504 familiale qui, quand j’ai eu mon permis à 18 ans, a fait le bonheur de tous mes copains qui la surnommait la "voiture d'arabes", puisque je faisais systématiquement le taxi et même Sam de retour de soirées où je ramenais tout le monde dans un état autre que le mien. La dernière peugeot que j'aurais pratiqué fut la 505 que mon père céda à mon copain de l'IEP Jérôme qui l'emmena en Algérie où il faisait son service. Je l'ai retrouvé en Algérie en 1993 et heureusement que je connaissais la bête car quand nous sommes partis en direction des Aurès avec Jérôme et Yasmina, on a eu une panne qui avait fait paniqué totalement Jérôme et j'ai pu réparer sur place la pompe à essence. Mais du coup j'aurais vu plein de beaux paysages en Algérie mais pas les Aurès. 

 

La culture de confiance consistait précisément à faire confiance très vite et très tôt. Confiance pour apprendre à conduire par exemple. A 10 ans je faisais le tour de mon jardin avec la voiture et à 14 ans il me laissait conduire à ses côtés pour faire les 36 km qui séparait notre maison de la maison familiale de Guéreins dans l’Ain. Pour chacun des enfants le permis a été une formalité. Je le passerais au bout de 7 leçons pour une somme ridicule. Quant à 15 ans j’ai eu le projet un peu dingue d’organiser avec mes deux meilleurs amis et mon cousin une descente de la Saône des Vosges à Lyon en bateau pneumatique, il m’a aidé dans les démarches et j’ai alors obtenu une bourse de 4000 F du ministère de la jeunesse et des sports et tout le matériel m’a été donné gracieusement par l’entreprise Sevylor que j’avais contacté. Nos parents nous ont accompagné au point de départ et laissé faire cette aventure folle et quand même un peu dangereuse (sans téléphone portable…) suivie de bien d’autres descentes (Ain, Tarn, Rhône, Ardèche…) qui laisseront des souvenirs impérissables. Trois ans plus tard j’ai d’ailleurs tenté de transformer l’aventure en créant mon entreprise pour faire une base de descente sur la rivière de l’Ain mais j’ai dû abandonner le projet en raison des lâchers d’eau des barrages EDF en amont.

Enfants nous pouvions avec nos copains aller jouer sur le toit de notre maison, y construire des cabanes, installer des matelas et même une station de téléphérique mécano ! Mais nous pouvions aussi aller avec nos outils en poches construire des cabanes, y compris en l’air, dans les forêts voisines sans que personne ne s’inquiète de nos activités. Et ce bonheur d’appréhender la nature comme cela rend tellement plus heureux que de jouer non-stop sur un smartphone ! Heureux d’avoir eu cette enfance sans écrans ! La télévision n’occupant qu’une place très marginale d’ailleurs. On pouvait partir une journée en vélo dans les Dombes sans la moindre inquiétude. Cette confiance pouvait clairement friser l’inconscience quand par exemple on nous laissait mon cousin et moi aller à la chasse à la vipère qui pullulait dans les environs de la maison de campagne.

C’est précisément cette culture de la confiance qui rend libre et qui permet la réalisation et l’ambition mais au bon sens du terme : pas celle qui consiste à tenter de s’élever en marchant sur la tête des autres en les dénigrant, mais celle qui consiste à révéler le talent potentiel de chacun dans ce qu’il a de plus profond en entraînant justement les autres.

Ce ne fut pas toujours facile d’être bienveillant et tolérant face à des comportements qui sont précisément l’exact contraire. La pensée complexe et ouverte se heurte à tout point de vue à ceux qui s’enferment dans leurs petits murs, leur petite autorité, leurs petites étiquettes, leurs petites certitudes, leurs petites croyances, et cette bienveillance prend justement le dessus quand elle s’applique aussi à ceux qui, par tous leurs comportements, ne la mériteraient sans doute absolument pas. Etre tolérant avec des intolérants c’est compliqué mais cela marche. Mon père avait une image assez juste. Un jour de tempête, le très beau cèdre du jardin cassa net. Et il m’expliqua que les arbres trop rigides cassent alors que les arbres souples comme les roseaux plient mais ne rompent jamais. Il expliquait que c’était la règle pour tous les matériaux mais que cela s’appliquait aussi à l’être humain. D’ailleurs, Il trouvait toujours des exemples simples pour expliquer les lois de la physique. Ainsi quand on lui posait la question de « mais enfin comment un énorme avion très lourd peut voler ? » il répondait très simplement : prends une pierre et jette là très loin. Si une pierre qui n’a pas d’aile vole plusieurs mètres avec la force que tu lui as donné, un avion avec des ailes peut voler tant que le moteur lui donne cette force.

 

Mais au-delà de ces cultures partagées et transmises, il y a bien évidemment de très nombreux moments partagés en famille et avec les amis à Guéreins, à Rillieux et enfin à Chaillol. Mes parents étaient bien plus campagne et montagne que mer et j’avoue que cela reste mon cas aussi. Et toute sorte de montagne. Après la descente de la Saône en 1984, j’ai enchainé avec le tour de l’Aubrac sac à dos en famille qui a là aussi failli tourner au drame quand notre chienne berger belge dont on avait perdu la laisse avait décidé d’exciter un immense troupeau de vaches et taureaux que nous devions traverser. Vivre une corrida géante fut un moment de peur et de grande émotion. Mais leur vraie montagne c’était les Alpes du sud, pour le ski comme pour la marche. Ils avaient une préférence pour le magique et l’authentique Queyras mais comme ses villages si beaux et si hauts sont vraiment loin de tout, ils ont choisi d’élire domicile dans les Alpes du sud les plus accessibles : le Champsaur. Du Queyras, le souvenir le plus fort sera cette balade des 3 cols à près de 3000m qui a commencé par la perte des repères dans le brouillard (nous ne savions même plus si on était encore en France ou en Italie !) et terminé par l’arrivée d’un orage et d’une tempête de neige en plein mois d’aout. Et les orages en haute montagne c’est très très impressionnant. La maison de Chaillol en 2001 sera celle de Papou et Mafoise, des enfants et petits-enfants. Petits-enfants qui auront tous apprécié que le terrain de la maison serve aux vaches du fermier voisin chez qui ils ont tous adoré aller voir les petits veaux naissant. Le Champsaur est un pays étonnant où se mêlent une campagne paisible : les champs de blé du plateau du Champsaur qui font plus campagne que montagne, les portes de la provence avec des paysages du sud dès que l’on franchit le sud de Gap et des paysages de très haute montagne du parc des Ecrins et ses fabuleux glaciers. Pour avoir sillonné bien des stations, villages et vallées des Alpes, je trouve d’ailleurs que les deux plus belles et sauvages vallées des Alpes sont effectivement celle du Valgaudemar et celle du Champoléon si proches du Champsaur dans lesquelles nous avons fait tant et tant de belles balades et escapades, y compris gourmandes. Tartes aux myrtilles incomparables. J’aurais aimé atteindre le sommet du Vieux Chaillol et ses 3163m avec mon père quand nous l’avons atteint avec mes deux fils, le dôme de neige des Ecrins et ses 4000 en 98, le Pic Queyrel au parcours si aérien avec ma sœur, ses enfants et une bergère qui nous servit de guide dans une descente très vertigineuse ou le pic Morgon à la vue si majestueuse sur le lac de Serre Ponçon, ou encore les si sublimes lacs bleu-verts de Pétarel entourés de chamois découverts l’été dernier mais sa santé ne lui permettait plus de tels exploits. Il aura quand même pu apprécier tant et tant de ces si belles balades et, après près de 17 ans de vacances annuelles dans ce coin peu connu des Alpes, je sais qu’il en reste encore plein à découvrir. Il aimait le ski, plutôt le ski de fond d’ailleurs et les raquettes. Je n’ai jamais eu d’autres cours de ski que ceux de mon père et je prends toujours le même plaisir à pratiquer ce sport hivernal.

 

Alors dans tous ces souvenirs, il restera aussi bien sûr les petits et grands pétages de plombs souvent pour des broutilles. Des cours de math agrémentés de hurlements. Il grimpait très vite dans les tours et ce n’était pas forcément très efficace. C’était même fatiguant. Mais il aimait aussi rire. Rire de tout et avec tout le monde. Et tous ceux qui auront partagé des bouts de vie, de soirée, de vacances avec lui ne pourront oublier son rire, son humour parfois maladroit car volontiers moqueur voire sarcastique et surtout sa grande convivialité. Il était aussi gaffeur et mettait les pieds dans le plat. Il adorait les jeux de société, les jeux de cartes. La crapette avec sa femme et bien d’autres jeux comme le scrabble (interminable car il cherchait toujours les nouveaux mots dans le dico pendant des heures), le tarot. Jouer mais sans se prendre au sérieux et sans tension.

 

Quand nous avons fêté ses 80 ans en famille à l’automne dernier, la chanson que nous avions écrit était dédiée à la bonne étoile qui l’a accompagné. Quelques semaines avant cette fête il s'était endormi au volant sur l'autoroute A7 et sa voiture a juste glissé le long de la glissière de sécurité qui a bien joué son rôle. Cette bonne étoile a fini par le lâcher mais il aura eu une belle vie. Une vie pleine de réussites et quelques échecs. Pleine de surprises. Pleine de frayeurs et de failli. Pleine de créations, de constructions, de réparations. Pleine de lectures. Pleine de musiques. Pleine de découvertes. Pleine de nature. Pleine d’émotions. Pleine d’amour pour sa femme, ses enfants, ses amis, ses 9 petits enfants pour qui il restera Papou. Pleine de bons repas et de bons vins, même s’il lui arrivait de mettre de l’eau voire de la limonade dans des bons vins ! Et quand je pointerai mon télescope dans le ciel haut alpin ou que je mettrai le matelas sur le toit du garage de Chaillol pour regarder les étoiles filantes en dormant à la belle étoile et bien je guetterai l’étoile où son âme a atterri. Il restera à jamais dans le cœur de tous ceux qui l’ont aimé et croisé. Et si je ne crois personnellement guère à la vie après la vie, sa vie avant la mort aura été très belle. Son existence aura produit une très belle essence et ce qu’il aura été restera pour toujours en nous. Tant que ceux que tu as connu seront encore là, tu seras encore là. Alors un immense merci papa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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D
Moi aussi, j'ai le souvenir de cette messe de Noël où mon père avait été soulagé de voir arriver ton père pour remettre en route cette chaudière... Et puis j'ai le sourire quand je pense à leurs essais au golf où on leur avait demandé de parler moins fort... Merci pour ce joli texte qui m'a fait revenir dans la maison des Guillot que j'ai eu tant plaisir à fréquenter... Bises à toute la famille.
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A
Un témoignage exceptionnel, très cher Didier. Sincères condoléances. Je comprends mieux la richesse de ta pensée, la beauté de ta personnalité, la toute splendeur de ta remarquable humanité. Bon courage. Ces valeurs semées par ton père, sont en toi et ta descendance. Qu'elles portent tous les fruits, qu'elles méritent amplement.
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K
"un ouvrier ce n’était pas un simple exécutant mais un savoir-faire immense"<br /> "Tant que ceux que tu as connu seront encore là, tu seras encore là"<br /> Merci Didier pour ce partage. Sentir ce doux poids de nos parents....Que l'ordre naturel de la vie soit toujours....Pensées.
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